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Le Rock est-il plus grand mort que vivant ?
 

par David Le Croller (14/01/04)

 
Extrait en musique

 

 
Article par I-Muzzik

 

Jeff Buckley, Les Stones, Hendrix, Nirvana : le rock est-il plus grand mort que vivant ?

« Le rock est mort, vive le rock ! » comme le dit le vieil adage populaire. Pourtant tout n’est pas si simple.

Je me souviens… Je me souviens de mon adolescence, de ces mercredi après midi passés chez les fils des voisins (de 5 ans mes aînés), de ces heures à écouter les Stooges, les Ramones, les Sex Pistols, les Who, toute cette énergie ressentie et assimilée : la fulgurance d’un éclair et le fracas du tonnerre. C’est là, dans cette appartement commun de la banlieue parisienne que j’ai appris à connaître ces groupes magiques qui ont écrit l’Histoire du rock. Ils faisaient partie de mon quotidien, ce n’est que plus tard que je m’aperçus qu’ils appartenaient au passé, à une décennie déjà lointaine. Le rock pour l’adolescent que j’étais, ça ressemblait à ça : un concentré d’énergie, de hargne, de fougue, se foutre de son prochain, ne jurer que par l’instant, mais surtout boire et jouer jusqu’au bout de ses forces, ne jamais regarder en arrière, avancer avec ses certitudes, en fin de compte se fracasser (peut être ?) contre le mur de la réalité mais en faisant un maximum de bruit et d’étincelles, être sûr d’avoir donné le meilleur de soi, se tuer mais réussir sa mort, la transcender et en faire en quelque sorte un chef d’œuvre.

Mon époque me paraissait terne, je ne trouvais rien de comparable, rien pour me raccrocher à mon présent (certainement par manque d’effort et de culture, je le sais à présent), je ne ressentais que de la nostalgie pour ce passé qui était sans nul doute la quintessence du rock. Cette attitude me satisfaisait, je crachais sans scrupule sur toutes ces nouveautés qui sortaient chez les disquaires, me vantant de connaître et d’écouter ce qui s’était fait de mieux, ce qui ne pouvait être surpassé. Pour moi il n’y avait aucun doute, j’adoptais l’hymne du punk « No Future » : le rock était plus grand mort que vivant ! Mais un choc allait bientôt venir bouleverser mes certitudes d’adolescent boutonneux. C’étaient les Pixies, Breeders et Nirvana. Ils arrivaient des Etats-Unis et rien ne fut plus jamais pareil. Ces groupes sont pour moi d’une importance primordiale. Une bouffée d’air et de jeunesse dans le monde figé de mes poupées rockeuses. Mick Jagger sentait la naphtaline, Frank Black et Kurt Kobain étaient des boulets de canon ! Cette prise de conscience me mit dans une situation délicate, comment concilier présent et passé ? Le rock n’était plus mort, il ressuscitait sous mes yeux…J’en restais coi. Finalement, se complaire dans la nostalgie d’un passé brillant n’était donc pas une solution, il fallait s’en imprégner et aller de l’avant. Kurt Kobain montrait le chemin en reprenant « The Man Who Sold The World » de Bowie (1970) .

Depuis cette époque et malgré le temps qui passe, je n’en démords plus, je pense sincèrement qu’il est faux de dire que le rock est plus grand mort que vivant. Cette attitude est stérile. Mais pourquoi de nombreuses personnes (moi le premier pendant mon adolescence) l’adoptent et s’y complaisent ?

Essayons de voir ce qui a changé depuis les débuts du rock il y a bientôt 50 ans. Un élèment essentiel est, je pense, le fait qu’auparavant le rock était un art de vivre, un esprit plus que de la musique. Les courants de pensées font partie intégrante de l’histoire du rock. La liste est longue : le Blues puise ses origines dans les chants d’esclaves noirs américains, le Rock & Roll parle de débauche de révolte et de métissage, le Folk propage des textes forts et protestaires (Dylan, Baez), le Punk lui prône le nihilisme et la provocation. Les années d’activisme du rock sont pleines de bruit et de fureur. Actuellement je pense que l’investissement idéologique des groupes est moins important, la musique a repris le premier plan, c’est peut être regrettable. Il existe toujours autant de combats à mener, les musiciens malgré leur aura semble s’en dégager. A l’époque le rock vous apportait plus que de la musique, cette dimension spirituelle a contribué à créer des mythes. Les exemples sont légions, comme une malédiction (ou plutôt une bénédiction c’est au choix) les « J » se sont souvent illustrés : Janis Joplin, Jimmy Hendrix, Jim Morrison. Dans un passé moins lointain, on pourrait également citer Jeff Buckley, Jeffrey Lee Pierce (Gun Club). Ils ne voulaient certainement pas tous se sacrifier sur l’autel du rock mais le destin en a décidé autrement. Brûler sa vie dans un feu de joie et la quitter avant de la trahir, c’est pourtant l’impression que l’on retient. Icônes dorées d’une réalité fugace, leur succès est désormais éternel. La mort les a rendu charismatique. On comprend bien ce qui ce passe. Le rock transcende ces personnages aux destins extraordinaires dont la vie s’est brisée si brusquement. Elles ont donné leur existence au rock, celui ci les transforme en légende, elles ne font plus qu’un avec lui, unies dans une reconnaissance éternelle mais figée dans un instant de gloire passée. Alors oui, de ce point de vue le rock (ou plutôt l’empire commercial qui gravite autour) semble vouloir nous convaincre que la mort change la donne et sert la grandeur du mouvement. Je refuse personnellement d’adhérer à cette thèse. Regardez par exemple Michael Hutchense, le chanteur d’INXS. Il s’est pendu et ça n’a pourtant rien changé à son écho ou à celui de son groupe…

« Le rock est-il plus grand mort que vivant ? », cette question tourne en rond dans mon esprit.
Finalement, ce n’est pas le terme de grandeur qui me gêne le plus c’est celui de mort. Pour moi, une musique ne meurt jamais. Les groupes peuvent vieillir, se trahir mais les disques eux restent. Le rock ressuscite à chaque fois qu’on pose un CD sur sa platine et qu’on appuie sur « play ». Il suffit alors d’écouter et de se laisser imprégner par l’énergie et l’ambiance. L’ordre est donné, on recrée un concert des Stones à leur grande époque comme sur le live au Madison Square Garden (New York) en 1969 : « Get Yer Ya-Ya’s out ! ». On se trouve plongé dans le monde des Clash sur l’album London Calling (1979) avec cette photo de Pennie Smith prise au Palladium (encore à New York) au moment où Paul Simonon va fracasser sa basse. Tous ces albums sont intemporels, ils sont des sources d’inspiration pour la nouvelle génération. Ils participent au rock qui se construit aujourd’hui. Je livrerais ici une citation qu’on attribue souvent à Brian Eno au sujet de l’album à la banane du Velvet Underground: « Peu de gens ont acheté cet album à l’époque (1967) mais ceux là ont tous formé un groupe. ». Le rock se perpétue, il se métamorphose certes mais il ne mourra jamais.

Depuis un certain temps, le rock se renouvelle, il retrouve de la verve et de la spontanéité.

Allons traîner du côté de New York…Encore et toujours. De nouveaux groupes apparaissent pour rendre au rock ses lettres de noblesse. On peut citer par exemple : The Rapture, Radio 4, The Strokes… Leur point commun est d’avoir ramené le rock sur le devant d’une scène squattée depuis un petit moment par d’autres styles musicaux allant du Hip Hop à l’Electronica. Ils ont réussi le tour de force d’en faire à nouveau une machine à danser. C’est bien la plus belle preuve de la vitalité de cette musique, faire partager du rythme, de la joie : être capable de faire bouger les gens. A quand le retour du slam sur les dance-floor ?
Mais le phénomène ne s’arrête pas là, il prend de l’ampleur. A Détroit, les White Stripes sont la tête d’affiche d’une scène foisonnante (Dirtbombs, Whirlwind Heat) qui prend la suite des Stooges et des MC5. L’Angleterre n’est pas en reste. Les anciens, comme Radiohead, continuent à innover en explorant de nouveaux territoires. Les jeunes, quant à eux déboulent de partout. The Libertines s’affichent fièrement sur la scène punk-pop. Epaulés par l’ex-Clash Mick Jones, ils s’inspirent de leurs aînés les Buzzcocks et les Smiths. On pourrait citer également : The Music, The Coral. En France, on n’avait pas vu non plus briller autant de groupes de rock depuis longtemps : Dyonisos, Kaolin, Pull, Lust, Ulan Bator. Tous ces groupes réalisent dans leur chansons le métissage d’influences diverses et variées, piochées tout au long des 50 longues années d’existence du rock. Tout cela permet à la musique un perpétuel renouvellement. Si l’on ajoute que la majorité de tout ces groupes sont composés de musiciens très jeunes, on peut être plus qu’optimiste pour le futur.

Le rock semble donc avoir surpassé toutes ces crises existentielles. Avec de solides bases et de nouvelles alliances, il s’enrichit chaque jour. Les musiciens jouent toujours aussi fort, le public applaudit et tape des pieds, les albums s’écoutent entre potes. L’aventure continue donc…

David le Croller