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Le Petit Rapporteur

 
 
Kent
 

par Pierre Derensy (14/06/03)

 
Extrait en musique

 

 
Article par I-Muzzik

 

Kent est juste quelqu’un de bien. Cette phrase n’est pas un effet de style par manque d’inspiration. Kent est vraiment quelqu’un de bien. Il sort son nouvel album « Je ne suis qu’une chanson » et pourtant il est bien plus. Fin, rusé, combatif, c’est à travers ses musiques et ses textes qu’on retrouve le goût de vivre, simplement tout en gardant l’œil ouvert sur l’état actuel des choses. Rencontre avec un artiste simple et émouvant.

Comme je sais que tu reviens du Pérou, j’aimerais savoir comment c’était là bas ?
Je suis resté 5 jours donc je vais pas avoir un discours très catégorique. J’ai vu Lima. C’est la première fois que j’allais en Amérique du Sud. Ce qui était drôle c’est qu’on est arrivé en plein mouvement social. Ils font la même chose que nous : des grèves. On est arrivé dans les grèves et parti dans les grèves, sauf que là bas c’est l’état d’urgence tout de suite, état d’urgence qui ressemble assez à notre plan vigie pirate. J’ai pu jouer mes chansons tout en parlant entre les titres car le public comprenait bien le français.
Ce qui est mieux quand même …
Oui, mais j’ai arrêté d’avoir du souci pour ça. A l’étranger je me suis rendu compte qu’on est exotique… évidemment il ne faut pas raconter sa vie en long et en large mais quelques mots, ça fait plaisir. D’autant que la musique est universelle.

Ces voyages forment le chanteur que tu es ?
Oui, c’est comme des flashs et des fois il y en a qui ne marchent pas. Au Vietnam, je n’ai rien pu ramener en musique, rien, c’est les sables mouvants, c’est pas ma culture c’est un autre monde, et j’ai rien reçu à part quelques sonorités mais alors ça devient très superficiel.
Au Cap Vert, par contre, c’était flagrant. Je suis rentré et j’ai changé des rythmes de morceaux. Ca m’a beaucoup influencé. Dans la rue, il y avait un vieux chanteur, tout ridé, magnifique qui a joué et chanté des chansons sur sa guitare pourrie, quand j’ai vu les accords qu’il faisait je me suis dit que je n’avais pensé à ces accords et je suis rentré avec.

N’es tu vraiment qu’une chanson comme l’indique ton dernier album ?
Je ne suis qu’un chanteur . « Je ne suis qu’une chanson », c’est une façon de raconter une chanson vue de l’intérieur. Quoi qu’il en soit, le plus beau cadeau qui reste pour un chanteur c’est au moins une chanson qui lui perdure. On finit par être une chanson quand des années
plus tard la chanson est toujours là et nous plus là.

Cet album est le retour de Kent à des choses plus simples, après des détours dans des genres où l’on ne t’ attendait pas forcément ?
Oui, j’ai pas cherché à faire « à la manière de », j’ai fait les chansons naturellement, j’étais plus isolé. J’ai brisé l’équipe qui travaillait avec moi et quand j’ai composé mes chansons je suis parti de ma guitare ou de ma voix ou alors de l’accordéon puisque Arnaud était présent dès le début avec moi, et on a rajouté ce qu’il fallait autour. J’ai pas cherché à donner une coloration.

Ce qui avait pu arriver sur d’autres albums ?
Oui ça m’est arrivé. Y’avait des partis pris parfois, l’album « Cyclone » ou bien « Tous les hommes » même si c’est le premier album acoustique que j’ai fait dans la tradition, il y avait une volonté de se rapprocher de quelque chose. Alors qu’avec mon dernier album, la volonté c’est de me rapprocher de moi. Je ne m’inscris plus dans un mouvement. C’est bien de puiser dans ses propres expériences, plutôt que dans ce qui se passe. Il ne faut pas être coupé mais c’est bien de s’intéresser à la digestion de ce que l’on a fait plutôt que de ce que l’on t’apportes. Dans l’album précédent, j’ai eu une influence au niveau de l’inspiration sur l’île de la Réunion, avec justement l’envie de le faire là bas avec des musiciens de là bas mais c’est trop artificiel, c’est une démarche un peu bête, c’est le premier truc qui vient en tête et je crois que c’est pas ça qu’il faut garder. J’ai préféré rentrer à la maison avec tout ce que m’avait appris l’île de la Réunion et puis présenter ça tel que ça sortait.

Pour éviter les clichés …
Oui c’est ça. C’est aussi une manière d’aller plus loin, comme de voir où ça va arriver justement d’enregistrer avec des musiciens américains ou anglo-saxons et d’arriver avec des chansons typiquement françaises et eux essayent de jouer avec l’idée de la musique française, du coup, il y a un décalage. Quelque fois ça rate et parfois c’est vachement intéressant parce que justement on a quand même nos clichés. On a une façon de jouer de la valse en France qui est un vrai cliché. Alors arriver avec une valse à la française jouée par un batteur américain qui ne pense pas comme ça ouvre des perspectives.

Quand on tape « kent chanteur » sur internet, on voit s’afficher « Chanteur rock », ce qualificatif n’est il pas obsolète ?
C’est avant tout une affaire d’attitude. On m’identifie encore à un chanteur rock. C’est extrêmement anthropocentriste le rock. Moi je suis sidéré d’entendre des gens dire que Piaf était une rockeuse ou Rimbaud un rocker ! Le rock a cristallisé des attitudes comme des décalcomanies. On s’en rend pas compte parce qu’on est amoureux…. Le rock tant qu’on est amoureux on en voit pas les défauts mais dès qu’on recule et qu’on met de la distance on se dit « ho putain… » (rire)

Qu’est ce qui te reste d’ « Amour propre » ton premier album solo qui date de 1983 ?
Un drôle de goût. L’impression de sortir d’un rêve et d’en rechercher un autre. « Amour Propre » c’est un album de vacances. Mais ce n’est pas une époque que j’aime. Je ne vais pas la renier parce que ce n’est pas dans ma nature mais je n’aime pas ce que je vivais à cette époque là. Je me suis rendu compte que j’étais immature. A 25 ans je me suis dis « Arrête tu n’as plus 15 ans ». Je vivais dans un monde post-adolescent qui me dégoûtait, monde qui est maintenant très présent et qui gouverne tout sauf la politique qui reste aux mains des vieux !

« Je pensais mourir à 27 ans mais finalement quand j’ai atteint cet âge je n’ai pas eu d’autre solution que de continuer à vivre », n’est ce pas ce qui te caractérise ?
Oui. C’est typiquement rock adolescent. C’est tout, tout de suite, à fond la caisse en se disant, de toute façon si je me pête la gueule en bagnole, en moto ou si je prend une décharge sur scène c’est rien car derrière il y a l’image de la légende. Si tu survies à ça, tu te rends compte qu’il n’y a pas que l’excès dans la vie. La crise de la trentaine elle est à 27 pas à 30. Le 30 c’est un chiffre pour les cons car il tombe rond. Après si tu n’arrives pas à te rendre compte de ce « vieillissement » cela devient pathétique et tu te retrouves avec des semi-chauves de 45 sur des planches à roulettes (rire)

Et quand tu les regardes tomber de leur skate tu ris et ils te traitent de vieux con ?
Ils font ce qu’ils veulent. Je veux justement pas juger, mais il est nécessaire de savoir qui l’on est. Il y a une chose qui est très mal vu, c’est l’idée d’expérience. De conseils à donner aux plus jeunes. Le terme de jeune con peut aussi l’être par ignorance. En tout cas, je suis rentré dans l’âge où « vieux con » c’est une question permanente jusqu’à la fin de mes jours.

« Mis au monde en province dans une école pour tous » c’est une phrase de toi, ne sens tu pas que cette phrase ne pourra bientôt plus se dire pour un môme d’aujourd’hui.
Si et cela me fait énormément chier. Parce que dans ma classe il y avait tout le monde, aussi bien Cheik Isair qui arrivait d’Algérie, un autre qui habitait un immeuble avec une piscine. On était tous pareils : on arrivait en vélo et on repartait en vélo. C’est un vrai combat. Un luxe à préserver. Maintenant le truc c’est de préparer des écoles qui seraient des couveuses pour entreprises. C’est une grave erreur. C’est un formatage de l’individu avant même qu’il ait l’idée de ce qu’il est. Le français va devenir une matière pour apprendre à taper une lettre, point final.

Ton site Internet est une boite en carton qui s’ouvre sur pleins de petits trésors qui te ressemble, trésor que tu qualifies de Bazar, es tu à l’origine de cette réalisation ?
J’avais vraiment envie d’un site qui me ressemble. La boite en carton c’est le web-designer qui a trouvé l’idée et ça tombait bien car j’ai travaillé longtemps dans une usine à carton.

Crois tu qu’Internet va permettre aux musiciens de court-circuiter le système : disque, tournée ?
Oui je pense. Je souhaite que le droit d’auteur arrive sur internet. Ce serait une manière plus équitable de répartir cet argent. Il n’y aurait plus une major-compagnie qui va prendre 90 % des droits. Ce qui pourrait être intéressant, c’est de télécharger une chanson à 50 centimes d’euro. L’idée qu’il n’y ait plus de support fait qu’on reprend une totale liberté de création. Quand j’ai commencé, le support c’était le vinyle avec 45 mn, maintenant dans l’air du CD on est passé à 72 mn mais cela reste toujours un format. Je trouve que ce qui est indispensable c’est d’arriver à faire de la musique en fonction de ton inspiration. De 30 secondes à 3 heures.

T’es tu senti frustré de ces contraintes rationnelles dans un univers artistique ?
Je me suis posé beaucoup de question. L’album « Métropolitain » qui est un mini-album m’a fait prendre la tête avec le service commercial chez Barclay parce qu’il y avait 7 titres. Donc impossible de le vendre au prix d’un album. Un mini-album c’est pas répandu. Ils allaient même jusqu’à me dire que c’est un code barre différent. C’est gavant ce genre de préoccupation. On se sent un peu con quand on a fait 10 chansons, que l’album sonne bien et qu’on te demande de rajouter deux chansons médiocres pour faire un album « normal » c’est un peu rater son coup. Artistiquement j’ai toujours été libre, maintenant je suis devenu producteur de mes disques et je suis content à l’idée que ce que je fais m’appartient. Alors que ce que j’ai fais avant ne m’appartient pas ! Les maisons de disques peuvent faire ce qu’elles veulent de mes disques. Ils peuvent être gentils et me prévenir. Ca c’est dans le meilleur des cas. Dans le pire on ne te prévient même pas.

Tu viens de collaborer au dernier album d’Enrico Massias, la critique est unanime pour encenser son travail, que te procures ce retour en grâce ?
Je suis surtout content qu’on reconnaisse son talent d’une bonne manière. Quand je me suis mis à la musique nord-africaine je me suis rendu compte qu’il y en avait un qui avait fait le lien à l’envers, c’était Enrico. Moi je partais de la chanson française à la chanson arabo-andalouse et lui depuis 20 ans il avait déjà entrepris l’inverse en arrivant en France. J’espère que notre rencontre donnera des suites.

Est ce que Bob Robert (ton personnage de BD) pourrait ressusciter dans les années qui arrivent ?
J’ai un album inachevé. « Inachevé » est un grand mot. J’ai du faire 4 planches et à chaque fois que je tombe sur ces planches je me dis qu’il faut que je m’y remette mais je n’ai pas encore trouvé le temps.

Que penserez Philippe Constantin (grand découvreur de talents) de l’industrie du disque actuellement s’il vivait encore ?
Je pense qu’il en penserait ce qu’il en pensait juste avant de mourir. C’était un malin Philippe. Il avait un esprit à part. Et des mecs comme lui, soit ils ne réussissent pas à s’intégrer au système, soit rentrent dans la bergerie et se métamorphosent. Je ne connais personne comme lui qui ai réussi à être respecter par tout un métier tout en profitant du système. Il arrivait à vendre de l’invendable. Il proposait des artistes incroyables et cela marchait ! Ce qui le rendait triste c’est qu’il était tout seul et qu’il voyait que derrière cela ne suivait pas. C’est pourquoi il est temps que tout cela s’écroule ! (rire)

Pierre DERENSY