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Tom Di Cillo : "When You're Strange"
 

par Adrien Lozachmeur (15/03/10)

 
Extrait en musique

 

 
Article par I-Muzzik

 

Tom Di Cillo a choisi l'approche chronologique pour retracer l'histoire des Doors. Il la replace dans le contexte d'une époque marquée par le mouvement des droits civiques, le rock, l'explosion hippie, le LSD, la guerre du Vietnam. Les Doors se font remarquer en 1967, soit à l'apogée de cette contre-culture. Leur dernier album date de 1971 : à cette époque, les rêves passés paraissent bien lointains. On a découvert que le LSD pouvait générer des bad trips ou rendre fou (Charles Manson), et la soif de violence de l'Amérique ne semble pas pouvoir être étanchée. Martin Luther King et Robert Kennedy ont été abattus. Nixon règne. La guerre du Vietnam s'éternise. Non une guitare ne peut pas changer le monde. Le film explique très bien tout cela. Jim Morrison est le point central du documentaire. Comme tant de générations de fans, Tom Di Cillo est fasciné par ce mythe culturel. Voilà un type beau comme un Dieu qui n'a pas son pareil pour électriser les foules, déchaîner les passions et faire exploser les règles. Les concerts se terminent souvent de façon chaotique. Jim Morrison est égocentrique, il aime le cirque que déclenche chacune de ses apparitions.

Il aime sa puissance. Et en même temps on sent une distance par rapport à ça. Il aimerait être poète. Ses fans agissent comme des pantins. Future chair à canon pour le Vietnam. C'est un être déchiré. Il se sent autre. Il est cet étranger de la chanson. People are strange when you're a stranger. Il voudrait libérer les gens, les exhorter à se révolter contre toute forme d'autorité. On voit des images de concert couplées avec des images de napalm et de blessés au Vietnam. Jim Morrison prend trop de drogues, puis il se perd dans l'alcool. Il est ailleurs. Ce sont ces paradoxes que scrute Di Cillo. Mais il ne préfère pas trop s'avancer à énoncer des vérités toutes faites sur le cas Morrison. L'intérêt du film est qu'il essaie de s'en tenir aux faits, aux témoignages, aux images. Il se veut plus question qu'affirmation. Bien sûr il ne s'affranchit pas de toute subjectivité. On sent bien la vision de Di Cillo, mais il ne l'impose pas.

Ce qui nous évite les clichés habituels sur le rock. On est loin des lourdeurs d'Oliver Stone. A chaque spectateur de se faire son opinion. Il me semble que la clé Morrison réside dans quelques détails sur lesquels le film passe très vite. La voix off (Johnny Dep) annonce : "à 16 ans, il a lu Nietschze, Rimbaud, William Blake". En fait c'est un peu con. C'est juste pour nous monter que Morrison est un être à part, qu'il est intelligent, et que donc c'est normal qu'on ne comprenne pas tout ce qu'il fait. On peut en rester à la fascination. Mais alors on reste comme ces spectateurs du concert de Miami, insultés par l'idole. Ils veulent voir du spectacle, ils veulent voir une idole : c'est qu'ils sont incapables de vivre leur propre vie. Ce sont des esclaves. Tom Di Cillo voit- il que Morrison l'aurait peut-être insulté en voyant le film? Il reste un fan, certes plus objectif et plus intelligent que ces filles décervélées qui couinent en voyant l'entrejambe du Mojo Pin, mais un fan quand même. Au contraire, il aurait pu se mettre au niveau du mythe pour le comprendre et le dé-mythifier. Ca aurait pu par exemple passer par une compréhension de l'influence que ses lectures ont pu avoir (question influence, il en reste à la rigueur familiale insufflée par un père amiral). Certes il évoque un peu William Blake. Parce que le nom du groupe ("les portes") vient de lui. Blake a écrit : "si les portes de la perception étaient nettoyées, tout apparaîtrait en sa véritable nature : infinie". William Blake était un grand mystique. Il avait des visions, ou plutôt il les imaginait, mais il accordait plus d'importance à l'Imagination qu'à la Raison.

Il voyait "le mariage du ciel et de l'enfer". Il semblait pouvoir accéder naturellement à l'Infini. Lorsque Aldous Huxley décrivit son expérience de la mescaline (principe actif du peyotl) il ressentit des choses qui lui ramenèrent en mémoire les poèmes de Blake. Il en déduisit que certaines personnes avaient la faculté naturelle d'élever leurs niveaux de conscience. Ca pourrait expliquer le drame Morrison. Peut-être a-t-il ressenti ces possibilités sans avoir de capacités naturelles suffisamment développées pour ne pas être ramené à la trivialité de la réalité, ce qui pourrait expliquer son impuissance à s'affranchir de la drogue ou de l'alcool. Quelle frustration! A moins qu'il n'ait été attiré par la noirceur dans laquelle il se vautrait,... Eprouvait-il de la joie à se bourrer la gueule comme il le faisait? Etait-ce une voix qu'il avait choisie? Il faudrait relire ses poèmes pour le savoir. Le film n'en donne que quelques extraits. Le côté mystique de Morrison est rapidemnent évoqué par le plus mystique des Doors : Ray Manzarek. Il le qualifie de chaman. Morrison serait un passeur vers des niveaux de conscience dangereux pour le commun des mortels.

Le film ne s'attarde pas trop là-dessus. Rimbaud lui voulait aussi accéder à cet absolu. Il voulait dérégler tous les sens. Son écriture n'est qu'une recherche de nouvelles propositions pour traduire des vérités inaccessibles. Sans doute a-t-il atteint un point au-delà duquel il ne voyait que l'impuissance du langage. D'où sa reconversion. Encore un mystique finalement. Et deuxième auteur cité. C'est plus qu'une coïncidence. Il fallait bien ajouter la voix du philosophe aux voix des poètes. Voilà donc Nietszche, le philosophe-poète, souvent admiré pour la beauté de son style. L'Homme ne doit pas rester un état, il doit être sans cesse un pont vers quelque chose qui le dépasse, un pont vers le sur-homme (je ne félicite pas les nazis pour leur interprétation neuneue de la chose). Il est animé d'une volonté de puissance qu'il doit libérer. Il doit se défaire de toutes les chaînes qui l'entravent : Morale, Vérités des systèmes philosophiques : autant de bêtises qui sont des freins à la joie de vivre.

En repensant à tout ça, on peut mieux comprendre Morrison. Je crois qu'il a lu des choses qui entraient en résonance avec sa propre vision du monde. Il voulait l'infini, la liberté, la joie, au-delà du bien et du mal. Le film dit qu'il pouvait être dangereux quand il avait bu. Nick Kent disait qu'il pouvait se comporter comme la personne la plus gentille du monde ou comme un psychopate. Nietzche aurait vu dans Morrison une incarnation de la pulsion vitale jetée dans le monde du spectacle. Le retour de Dionysos. Helas, Dionysos déprime sans doute parce qu'il n'arrive pas à satisfaire ses aspirations, et sa pulsion de vie se transforme en pulsion de mort. J'avance une idée. Il est possible que Jim Morrison n'ait jamais ressenti tout ça. Mais on s'en fout. L'idée est là. Son destin ne lui appartient pas, son destin le dépasse. Quelque part, Jim Morrison est donc un exemple incitant à se transcender pour ne plus avoir à le prendre en exemple. Il faut arrêter de l'idolatrer. Le monde du spectacle est en grande partie une tyrannie (Lisez Guy Debord). Suivons plutôt notre chemin. Vivons nos propres vies. Créons nos propres règles. Travaillons sur notre capacité à améliorer notre perception des choses. Nous n'avons pas besoin de drogue pour cela. Il suffit de s'intéresser aux détails et à l'émotion qu'ils recellent. Chaque individu est unique. Chaque individu a une valeur infinie.