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Rock Story #3 : Sam and Dave
 

par Jean-Marie Bellouard (18/07/09)

 
Extrait en musique

 

 
Article par I-Muzzik

 

Une grand messe ! Peut-être que ce titre dont je vais vous parler n'est pas le meilleur de la soul. Peut-être que Sam and Dave, ça ne vous dit rien. Peut-être qu'un concert filmé pendant une tournée promotionnelle, ça ne semble pas très affriolant. Et pourtant j'estime que cette vidéo est un moment exceptionnel dans l'histoire du rock, un témoignage qu'à travers la musique, quelque chose se passait à cette époque. Avant que les amarres soient larguées, avant Woodstock, la drogue, avant la gueule de bois. Dans ce film, il y a la candeur, la fièvre, l'euphorie et l'orgasme, via le rock'n'roll. Replaçons le contexte. 1967: peut-être la plus belle année pour le rock, ou du moins est-on encore en pleine explosion du rock (au sens large, j'y inclus la soul). Le label Stax organise un tour en Europe afin de promouvoir ses artistes: leur fer de lance, l'étoile montante, c'est Otis Redding. La Stax profite de son succès pour présenter leur catalogue au public européen, dont Sam and Dave (dont l'histoire retiendra surtout "Soul Man", repris plus tard par les Blues Brothers).

Le cinéaste qui filme la tournée est emblématique de l'époque: D.A. Pennebaker, connu pour avoir immortalisé le jeune Dylan en pleine mue (du folk vers les étoiles), dans "Don't look back", le Monterey Pop festival de 68 (avant Woodstock), ou le film/concert Ziggy Stardust, plus tard. Pas mal d'images de rock de l'époque nous viennent de lui, ou du moins ont les mêmes tics: effets de caméras approximatifs (zoom un peu foireux mais rigolos, quarante ans plus tard), longs plans sur le public, qui du coup devient un acteur du spectacle, il faut bien l'avouer (les mecs ont le look de Mike Myers façon « Wayne's World » et les filles celui de la France Galle des « Sucettes... ») et puis surtout un réel engouement pour ce qu'il filme. Le groupe qui accompagne les artistes, c'est Booker T and the MGs: le groupe qui personnifie à lui tout seul le son de la Stax (ils sont le backing band de Otis Redding, mais aussi de Sam & Dave, Wilson Pickett, Albert King, entre autres): Booker T Jones à l'orgue, Steve Cropper à la guitare (le son ligne claire, épuré, comme sur « The Dock of the Bay », c'est lui), Donald « Duck » Dunn à la basse, et une section de cuivres de haut vol. Plus tard, ils y seront pour pas mal dans le son des Blues Brothers: on y retrouvera Donald "Duck" Dun et Steve Cropper! Bref ce soir là c'est le gratin de la soul qui est sur scène pour faire sienne la jeunesse européenne. Sam and Dave rentrent en scène après Otis Redding, commencent par endormir le public d'une chanson sirupeuse (pas très convaincante) et commence donc notre vidéo.

« Hold on I'm coming » : la chanson démarre sur un tempo plus élevé qu'en studio, et les deux chanteurs déroulent leur show: certes, ils se donnent à fond, leur petite chorégraphie est soignée, mais tout ça est tellement naïf. A l'image de leur costume sans pli, tout est trop réglé au cordeau. La chanson est bonne, le public apprécie la musique, mais il n'est pas transporté: ici on dodeline de la tête en rythme, là on frappe discrètement dans la main. Les gamins ont l'air si coincés, Sam and Dave tellement apprêté. Les effets de caméra de Pennebaker pour créer un semblant de folie ne font que souligner l'aspect artificiel du moment. Le service de sécurité a l'air de s'emmerder grave. Mais tout n'est pas perdu! Après deux minutes, au moment où la chanson devrait s'arrêter, tout ralentit brutalement et l'orgue solennel de Booker T Jones nous avertit: c'est le moment de la messe, une messe païenne dans le plus pur style rock'n'roll.

Les deux chanteurs continuent leurs chorégraphies, j'adore ce moment, c'est là qu'on apprécie la candeur à l'état pur: ces gars là ne doutent de rien et continuent leur show à fond, quitte à se rendre ridicules. De concert avec la batterie, ils nous font des figures de folie, on rit et on est plein de respect à la fois. Ils jouent à quitte ou double. La tension est là, qui monte... Jusqu'au moment où tout dérape, où tout décolle: tel un prêcheur, Sam se met à haranguer la foule. Au début, il raconte benoîtement qu'il va aller s'enfiler une bouteille de gin avec ses potes, qu'ils vont bien s'éclater, lui et le groupe: on se dit qu'il a déjà la tête après le concert. Mais non: la tension monte toujours (via l'orgue, la basse, la batterie), et Sam exhorte soudain la foule à se lever "Do me a favour before I go! Stand all up! Stand all up! Have a good time" et là tout le monde se lève, malgré la sécurité qui essaie de faire rassoir les premiers rang. Pour enfoncer le clou le groupe repart d'un coup, à fond les ballons: Sam and Dave hurlent, dansent, suent sang et eau. Ca y est c'est gagné, la folie est communicative. Par moment ils s'arrêtent et se regardent d'un air égaré. On voit qu'ils ne savent pas trop quoi faire. Alors ils redansent, rechantent sur ce rythme endiablé, immuable, toujours soutenu par cette section rythmique du tonnerre. Et ils s'arrêtent à nouveau, puis recommencent encore et encore, l'un des deux descend danser devant le public, les cuivres dansent aussi, le public est toujours debout, et ça se termine en grands moulinets de bras orgasmique de Sam and Dave, qui peuvent se vanter d'avoir retourné la situation, électrisé la foule.

Un pur moment de rock'n'roll, et la caméra était là: tant mieux, 40 ans après, on apprécie toujours!