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Focus sur l'album "What The Toll Tells" des Two Gallants
 

par Adrien Lozachmeur (27/11/06)

 
Extrait en musique

 

 
Article par I-Muzzik

 

« Two Gallants » est une nouvelle de James Joyce et pourtant les 2 larrons de 2 Gallants ne sont pas irlandais et ne sonnent pas du tout comme les Chieftains, les Pogues ou les Waterboys. Ils viennent de San Fransisco et ne s’adonnent pas pour autant au psychédélisme souvent associé à la ville du flower power. En fait on jurerait qu’ils viennent de l’Alabama, de la Georgie ou d’un autre état du Sud des Etats-Unis. Leur musique est américaine jusqu’à l’os : elle revisite avec grâce et fougue les racines blues, folk ou country de l’Amérique comme l’ont fait les White Stripes, les Black Keys ou les 22-20s ces dernières années. Et le résultat est fabuleux ! Ce disque peut s’écouter en boucle sans problème. La maturité de ces jeunes gars est impressionnante.

Ca commence comme une bande son d’Ennio Morricone (« Las Cruces Jail ») : le vent dans la plaine, un sifflement au lointain et puis ça embraye au ¼ de tour sur un titre très enlevé, du folk sous amphétamines qui fait penser aux dérèglements du Gun Club au début des années 80. Par la suite, les chansons jouent aux montagnes russes. Certains passages sont très lents, très mélancoliques, la dépression guette : On se dit que Will Oldham s’est trouvé un nouveau pseudo ou alors que le fantôme de Townes Van Zandt est revenu nous hanter. Et puis de brusques accélérations de rythme viennent déchirer le paysage sonore : ça joue vite, ça gueule à s’en déchirer la trachée. Parfois, bercé par la mélancolie du morceau, on ne voit pas venir l’orage et croyez moi ça surprend ! Cardiaques s’abstenir.

Si le rythme connaît des fractures assez importantes, les textes eux sont plutôt uniformément noirs, même sur les titres les plus enlevés. Il y est question de mort, de désespoir, d’enfermement, de solitude, de Dieu et d’enfer dans une veine poétique et littéraire. L’allusion à Joyce témoigne suffisamment de l’intérêt que doivent porter ces messieurs à la chose écrite. La palme du meilleur titre revient à « Threnody in minor B » (lamentations en Si mineur) : il indique assez bien le ton général. Les thèmes sont à l’avenant et renvoient constamment à l’imagerie sombre et violente liée aux mythes de l’ouest américain.Ca pourrait être la bande son idéale des westerns nihilistes de Peckinpah avec leur lot de déserts, de cactus, d’ alcools frelatés, de règlements de compte et de femmes de petite vertu. L’esprit des romans de Faulkner n’est pas très loin. Ainsi « Las Cruces Jail », monologue intérieur d’un jeune criminel qui va être pendu, « Steady rollin’ » (mon titre favori) ou la cavale sans issue d’un type poursuivi. Il est ralenti par sa copine alors il s’en débarrasse.

« I shot my wife today
Dropped her body in the Frisco Bay
I had no choice it was the only way
Death coming, I’m still running”
(J’ai buté ma femme aujourd’hui
Laissé son corps dans la baie de Frisco
Je n’avais pas le choix c’était le seul moyen
La mort se rapproche je continue à courir).

Ca fait évidemment penser à “Hey Joe”ou à des chansons comme « Jack on fire » du Gun Club. Le rock a toujours aimé les morts violentes.

Les sentiments de solitude et de désespoir sont omniprésents. Sur « Prodigal son » , le désenchantement est total: « I don’t need nobody – Nobody needs me » (Je n’ai besoin de personne – Personne n’a besoin de moi) et l’espoir lié à la foi est évacué en quelques mots “I’ve tasted your grace, placed it back on the shelf » (J’ai goûté à ta grâce, je l’ai replacée sur l’étagère). Sur « Long summer day » le point de vue est celui d’un pauvre noir qui n’est pas loin du pétage de plombs. On imagine le Sud , ses grandes plantations de cotons et en corollaire la tension raciale. “The summer day makes a white man lazy. But the summer day makes a nigga’ feel crazy” (L’été rend l’homme blanc paresseux. Mais l’été, le nègre se sent devenir dingue)

Si une large place est accordée à la vision mythique de l’Amérique des outlaws, les 2 Gallants n’en n’oublient pas la situation actuelle : ils brocardent finement la politique de leur pays sur la chanson “Waves of grain” qui clôt l’album
« who has betrayed the deceased ? Such an infamous freedom, such a militant peace” (qui a trahi les morts? Une telle liberté infâme, une telle paix militante)
et plus loin l’allusion à l’exploitation du terrorisme est à peine voilée.
“Your vision is clear while you blind your own kind behind a curtain of fear” (Ta vision est claire tandis que tu aveugles tes prochains derrière un rideau de peur).

C’est écrit avec les tripes, joué avec les tripes, chanté avec les tripes. Si vous cherchez un exutoire à l’affadissement quotidien de votre perception du monde, procurez vous cette galette, pour le bien de votre psyché, pour le bien de votre âme, pour ne pas commettre l’irrémédiable tout simplement.