Recherche

 
 
Sonic youth - Simon Werner a Disparu
 
Phoenix - Wolfgang Amadeus Phoenix
 
The Antlers - Hospice
 
The Drums - Summertime
 
Dmitry Evgrafov - Collage
 

La Fille du Régiment

 
 
Thiefaine
 

par Pierre Derensy (01/10/04)

 
Extrait en musique

 

 
Article par I-Muzzik

 

C’est l’histoire d’un mec. D’un travail sur le carbone 14 du rock français. 25 ans de formations, de couches successives qui se collent et se fondent dans une parfaite harmonie. C’est la saga d’un géant, d’un désaxé debout qui a toujours su concilier son amour du verbe et sa verve protestataire. Hubert Felix Thiefaine c’est un grand, grand, grand Monsieur. Avec ses prises de risque maximales à chaque nouvel album, sa ligne de fuite cohérente et visible pour esquisser un tableau de l’humanité en trait soyeux et lettré, on aime rencontrer HFT car il est courtois, intelligent, affable mais aussi car il figure dans les panthéons des cow-boys aux bottes droites. Respect.

Votre fameuse phrase « Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir » vient de trouver un double acoustique avec votre tournée solo ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « La tournée solo n’était pas prévue du tout. Il y a, à peine un an, je n’y pensais même pas alors que chez moi, une tournée se prépare 2 ans avant plutôt que 2 mois ! Par contre j’aime bien les expériences… Tout est parti d’une histoire d’amitié avec le directeur du Palais Royal à Paris qui avait décidé de créer des lundis consacrés au spectacle de chanson. J’étais très flatté qu’il pense à moi pour essuyer les plâtres de la première. Le théâtre s’étant rempli trop rapidement pour contenter tous les gens qui souhaitent venir, on a décidé de rallonger d’une dizaine de dates. Et de fil en aiguilles, on en est arrivé à faire une tournée qui est totalement improvisée pour le coup. »

C’est donc votre public qui a plébiscité ce concert avec vous uniquement accompagné de votre guitare ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’est entièrement une demande du public. Ce qui est marrant c’est que je pensais en faire une expérience unique et me voilà sur plus de 70 dates sans parler de celles qui vont se faire en 2005. »

Venir seul sur scène c’est entrer dans l’arène sans filet ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’est multiplier le trac par 4. Auparavant, je contrôlais juste pour savoir si ma voix fonctionnait, maintenant je dois accorder plus d’importance à ma mémoire : ne pouvant faire beaucoup de yaourt seul à la guitare (rire). Je suis surtout obligé de travailler mon instrument d’une façon plus soutenue. Enfin bon, c’est une mise en danger largement récompensé autre part. »

Etre sur le fil du rasoir c’est angoissant mais aussi jouissif car tout doit vous arriver à vous : car vous êtes l’unique sujet sur scène ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « On a un très grand bonheur mais il nous comble uniquement à la fin du spectacle. Quand je joue avec un groupe le bonheur il est presque immédiat tandis que là je ne l’ai vraiment qu’à la fin. J’aime la similitude avec le théâtre, dès que vous sortez d’une scène vous devez vous préparer pour une scène suivante et ne recevoir les acclamations qu’à la conclusion, et bien là c’est identique dans l’approche. Parce que là rien n’est jamais gagné, je peux me flinguer dans chaque nouvelle chanson, j’ai 50 fois plus de chances de me planter dans un morceaux car ce n’est plus seulement la voix et la mémoire mais c’est les arpèges, une suite d’accord à bien négocier, la technique de la guitare. »

Vous qui êtes un habitué de grosses machineries, comment réagi votre public après cette performance solo ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’est encore plus fort, le public est souvent debout à la fin. C’est un grand moment. Ce qui me surprend c’est que j’ai le temps de voir mon public. Il y a tous les âges mais le fait de voir des jeunes à mon concert me rend très enthousiaste.»

Comment sélectionnez vous les titres pour en faire un tour de chant ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je ne l’ai jamais fait moi même. Pas plus ici que sur les précédents. Je demande conseil à mes producteurs de Loreleï production. En l’occurrence pour cette tournée j’ai du jouer 50 titres devant eux et ils devaient en sélectionner 25. »

Sur ‘Défloration 13’ il y a une chose étonnante : vous mettez en garde les gens « aux petits esprits » du mal que vous pourriez leur faire s’ils écoutent votre disque ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’était parce que le plus jeune de mes fils, qui était dans une école, chantait ‘La Fille du Coupeur de Joint’ dans la cour de récréation en maternelle. Je n’avais pas envie que les parents des copains de mon fils leurs achètent l’album pour Noël (rire). »

Vous utilisez sur une très belle chanson de ce dernier opus des boucles d’Artaud provenant de ‘Pour en Finir sur le Jugement de Dieu’ un vrai fou artiste ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Ca n’existe pas la folie artistique ! Il y a la folie et la création artistique. Le tout est de se situer juste à la limite. Maintenir l’équilibre au quotidien de ne pas tomber dans la folie. Ce qui s’est produit chez Artaud c’est qu’il ne savait plus de quel côté il était. Vers la fin de sa vie il a sombré complètement. Mais quand il a écrit ‘Pour en finir…’ c’était une œuvre d’un artiste et surtout pas d’un cinglé ! »

Avec un côté très visionnaire, cela vous arrive t’il que de votre côté, avec le recul, vous soyez surpris de la justesse de ce que vous avez pu chanter dans le passé ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je regarde toujours vers le futur donc je ne peux pas vous dire que je regarde mon passé et que je m’en flatte. Bien sur quand j’ai écris ‘Aligator 427’ en 76 c’était pour ne pas avoir de Tchernobyl dix ans plus tard, c’est l’une des fois où j’ai senti que j’avais malheureusement raison. »

Devenir chanteur pour vous c’était échapper à quoi ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’était devenir un prince ! Vous savez je viens d’un milieu très modeste, d’une banlieue ouvrière, et la seule façon de s’en tirer c’était soit de finir dans un bureau en troisième zone ou bien alors pour dépasser son niveau social, de tenter sa chance dans quelque chose d’un peu cinglé : Soit de devenir footballeur ou chanteur. »

Je pense que vous avez fait le bon choix !
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je ne sais pas. J’ai aussi eu la chance malgré la modestie de mon milieu de poursuivre des études. Parfois je regrette de ne pas les avoir poussé assez loin alors qu’on m’en donnait la possibilité. Parce que ce n’est pas si facile que ça d’être chanteur. Ca fait 30 ans que cela dure, je peux vous en parler. Ce n’est pas aussi onirique qu’on pourrais se l’imaginer. »

Il y a donc toujours un revers à la médaille ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « J’en ai peur. Je pense même qu’il y en a plusieurs. »

Ca vous est arrivé d’en connaître ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Mais j’en connais tous les jours. »

Qu’est ce qui reste du Hubert Felix Thiéfaine de ‘Comme un chien dans un cimetière’ ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Absolument tout. Dans le show que je présente je reprends des chansons de cet album. Malgré 30 ans de travail supplémentaire, de techniques additionnelles, je ne suis pas très éloigné de cette époque. D’ailleurs je cherchais à retrouver cette ambiance du début. Seul sur scène cela ne m’était plus arrivé depuis 25 ans. »

Votre tour de chant est il immuable chaque soir ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’est difficile à dire, j’essaye toujours de m’approcher d’une pièce de théâtre où ce serait saugrenu de changer le texte. En l’occurrence, là pour moi c’est pareil. Surtout en tournée on n’est pas tous les soirs en pleine forme donc il vaut mieux avoir une structure bien rigide. A partir de là on peut totalement voyager. Aux Bouffes du Nord le même spectacle pouvait durer entre 1h35 et 2 heures. Mais je veux avoir une base solide. »

A partir de ‘Chroniques Bluesymentales’ au début des années 90, il y a eu quelque chose de changé dans votre musique ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Oui, je pense être sorti de l’adolescence à ce moment là. »

Pouvez vous parler de ce disque hommage ‘Les Fils du Coupeur de Joint’ ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’est ma maison de disque qui a décidé de monter ce projet. J’ai trouvé ça amusant et flatteur. »

Sur ce disque, il n’y a que des artistes de la nouvelle génération ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Il y a beaucoup de jeunes talents qui montent que j’aime vraiment beaucoup. Maintenant c’est de savoir s’ils vont tenir sur la durée. Comment dans cette compétition bondée, ils vont réussir à se démarquer de la masse. »

Pourriez vous m’expliquer en quoi consiste « le syndrome de John Wayne » dont vous souffrez ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’est simplement d’être encore vivant aujourd’hui. C’est d’essayer chaque jour d’être droit dans ses bottes. De continuer à marcher vaille que vaille. Essayant d’avoir une conduite de cow-boy. »

Ce qui est sûr, c’est que vous êtes le genre de lascar à pouvoir vous regarder dans une glace sans problème tous les matins ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « (Rire) Disons qu’à l’intérieur ça va mais c’est l’extérieur. Y a des matins où il ne faut pas que j’insiste trop… ou alors il est indispensable de faire venir une maquilleuse (rire). Mais ça c’est les risques du métier. »

Allez quand je vous vois, je vous donne à peine 30 ans ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Y a des matins je me donnerais pourtant 90 ans ! mais bon la cause en valait sûrement la peine la veille !»

En parlant du diptyque que vous avez fait comprenant le ‘Bonheur de la Tentation’ ou ‘La tentation du bonheur’, votre cœur balancerait de quel côté s’il fallait choisir ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je me fous complètement du bonheur. C’est pas mon truc. Je ne suis pas né pour ça. Y a des gens qui s’accrochent à cet inaccessible espoir. Il en résulte qu’au jour d’aujourd’hui je n’en ai plus rien à foutre, c’est comme Dieu. Ca ne me concerne pas ! »

Vous n’êtes pas mystique ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Non, franchement je ne crois pas trop au bonheur, ni a celui qu’on pourrait trouver dans la religion. Le bonheur je n’ai même pas envie de courir derrière. »

C’est l’époque qui nous oblige à ne pas se sentir heureux selon vous ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je ne sais pas ?? J’ai l’impression quand j’écoute la radio qu’ils gueulent à tu tête heureux debout sur les tables. A la télé pareil. Ils sont peut être tous avec des hémorroïdes au cul et le cœur tordu à l’intérieur, mais quand ils se montrent ils nous font croire que le monde va bien. »

Vous savez bien que ce n’est qu’une apparence ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Oui mais ils sont beaucoup à nous faire croire ça. »

Pensez vous qu’ils soient beaucoup ou qu’on nous en donne l’impression ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « On est complètement manipulé. Ils sont eux mêmes manipulés. Ce n’est que la vérité des médias. Personnellement je pense qu’ils font tous semblant et qu’ils sont encore plus tordus que nous mais sont payés pour balancer du faux sentiment à l’antenne. D’ailleurs, s’ils ne le font pas ils sont virés illico-presto. Et pourquoi ? parce que ce sont les épiciers qui commandent le monde. En France c’est même depuis 1789 ! L’épicier veut que les gens aient l’air heureux pour mieux consommer. Ils en arrivent à manipuler les hommes politiques pour que ceux-ci leur vendent leur bonheur.»

Pourtant, vous par exemple, vous avez un succès énorme sans passer par l’épicerie générale ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « C’est peut être pour ça aussi que les médias et moi on ne s’entend pas très bien. Ce qui m’énerve c’est que l’on soit obligé de mettre sur des disques ‘Vu à la Télé’ pour que ce travail artistique ait une quelconque valeur.»

Ce qui voudrait dire qu’en France nous avons un cruel manque de culture ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Ce qui est terrible c’est que la France reste dans le monde un des seul état cultivé. Le français moyen est cent fois plus cultivé que l’américain moyen. »

Pourtant, vous êtes de la génération qui a encensé les Etats-Unis ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Mais je continue à encenser les intellectuels américains ! Mais pas le peuple lambda qui pèse 190 kilos parce qu’il ne s’est jamais arrêté de bouffer et qui consomme à longueur de journée incapable de faire autre chose que de regarder la télé. J’aime les auteurs, les romanciers américains d’aujourd’hui parce qu’ils connaissent leur courant et leurs combats.»

Vous vous êtes battu pour certains principes importants, ne pensez vous pas que vous avez perdu le combat quand on voit qui est au pouvoir actuellement ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu. Je ne me suis jamais battu pour les hommes politiques. Quand je vais voter, je vais voter « contre ». Je ne vais jamais voter « pour » même si c’est pour un écolo… parce qu’il faut dire que les écolos ils se conduisent en France comme des têtes de nœuds. Même les alter-mondialistes cherchent un pouvoir. Comme je suis contre le pouvoir, que je ne supporte pas l’idée que quelqu’un puisse me diriger au nom de je ne sais quoi. La politique je la combats car je combats le pouvoir. Je n’ai pas l’impression que l’on soit plus perdant parce que nous sommes gouverné par Chirac que par Jospin. Quand je vois Bové ou Mamère qui ne cherchent qu’à prendre le pouvoir je ne peux pas être intéressé ! Je subis. J’essaye d’être actif ailleurs.»

Par contre, on ne voit pas votre nom sur des rassemblements d’artistes ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je ne sais pas marcher au pas. Je suis un solitaire. »

Libertaire aussi ?
Hubert-Félix Thiéfaine : « Je me méfie des libertaires. Je veux bien être nihiliste, anarchiste, libertin mais libertaire c’est déjà appartenir à un parti. Je n’appartiens à personne car c’est difficile de faire le partie des solitaire. (rire)Ce que je veux c’est garder mon indépendance totale. J’essaye d’être le plus seul possible pour ne pas avoir d’ennuis avec la pensées des autres qui est souvent très encombrante. »

Pierre DERENSY.